Jaguar - Partie 4/6

Il l’avait ramenée dans la forêt de leur rencontre. Cette fois-ci, le chemin emprunté avait été plus facile. Pas de falaise à monter, pas de tunnel à traverser. Seulement la nature baignée par la lumière de la pleine lune. Elle le suivait en silence, heureuse d’être de nouveau à ses cotés, inquiète de dire de nouveau quelque chose qui le ferait s’éloigner d’elle.  Elle aurait aimé savoir qui il était, ce qu’il était… mais était-ce réellement important ? Elle savait qu’il était là, qu’il n’avait pas une vie facile et devinait que son passé ne l’était pas plus. Elle savait qu’elle pouvait lui faire confiance et qu’il était plus gentil et plus vulnérable qu’il n’y paraissait au premier regard. Oui, elle savait tout cela. Et ça lui suffisait.
Il se tourna vers elle, une main sur la bouche pour lui indiquer de garder le silence. Elle se rapprocha de lui à pas prudents et s’accroupit à ses côtés, pour suivre du regard la direction qu’il lui indiquait.
Au cœur de la nuit, un couple de renards batifolait. Apparemment, la présence d’une chouette effraie au dessus de leur tête ne les inquiétaient pas. Non loin d’eux, un hérisson s’était roulé en boule, attendant que ses prédateurs ne s’éloignent. Sonia se rendit soudain compte des bruits nocturnes parvenant à ses oreilles : hululement des hiboux, respiration des discrets animaux, grattement sur et dans les troncs d’arbres… Les renards s’éloignèrent à pas sautillants, le hérisson attendit un instant avant de reprendre sa route, trois chauves-souris traversèrent les cieux, plongèrent dans les flaques d’eaux pour boire imperceptiblement et s’éloigner bien vite de leurs propres prédateurs…
Elle entre-ouvrit les lèvres pour dire à Jaguar combien le spectacle était beau, et il lui plaqua une main sur la bouche par la faire taire. Non pas brusquement, mais avec délicatesse. Il la regarda, un doigt levé en travers de sa propre bouche pour lui indiquer le silence.
Alors, comme la première fois, ils restèrent ainsi à contempler le spectacle, à observer le ballet nocturne des bêtes sauvages. Et, alors que la fatigue commençait à la gagner, elle posa la tête sur l’épaule de Jaguar et se laissa bercer par les sons de la forêt. Et peut-être, un peu, par les battements de cœur et l’odeur forestière de l’homme qui avait passé un bras autour de ses épaules et la serrait contre lui.

En arrivant au bureau le lendemain matin, elle avait sur les lèvres un sourire qu’elle ne remarquait même pas. Cette nuit passées serrées contre Jaguar était sans le moindre doute l’une des plus belles de sa vie. Plus belle encore que celle passées en plein milieu du fleuve. Parce que cette nuit, Jaguar ne s’était pas endormie en attendant le lever du jour. Non, il l’avait serré dans ses bras et c’était excusé encore une fois, puis, au lieu de la ramener à la voiture qu’ils avaient prise pour venir et la laisser partir, il l’avait raccompagnée chez elle. Avant de descendre de la voiture, elle lui avait fait promettre de ne plus l’éviter. Avec un sourire, il lui avait pris la main et y avait déposé un baiser du bout des lèvres, avant de le lui promettre.
Elle se laissa tomber dans l’une des chaises faisant face au bureau d’un Paul des plus surpris et entrepris de lui raconter sa nuit.

Le soir même, à la sortit du bureau, elle eut la surprise de retrouver Jaguar en train de l’attendre, vêtu pour la première fois qu’elle le connaissait d’un jean et d’une chemise blanche qui lui allait à merveille.
-Que fais-tu ici ? demanda-t-elle, trop surprise pour ne pas poser la question.
-Je t’attendais.
-Pourquoi ?
Il s’inclina devant elle d’un geste gracieux et un peu désuet :
-Accepterais-tu de diner avec moi ce soir ?

-Paul ! Aide-moi, au lieu de rire !
Elle lui désigna le lit sur lequel étaient disposées plusieurs tenues :
-Laquelle dois-je mettre pour ce soir ?
Subjuguée par Jaguar, elle avait accepté avant de songer qu’elle n’avait peut-être pas de quoi s’habiller pour une telle soirée. Alors, elle avait appelé Paul à la rescousse. Un secours inutile, à vrai dire, comme le lui prouva sa réponse :
-Comment veux-tu que je le sache ? Tu le connais mieux que moi.
Elle lui lança un regard noir, ce qui ne l’empêcha pas de continuer, depuis le fauteuil dans lequel il s’était jeté un arrivant :
-Si j’étais un bel homme plongé dans les ennuis jusqu’au cou mais qui à le temps de flirter, qu’est-ce que j’aimerais bien voir ce soir ?
Il se pencha vers la pile de vêtement et continua :
-Quelque chose de sexy, je pense. Assez pour ne pas avoir à regretter ma soirée, et pas trop pour t’en vouloir quand tu refuseras de me suivre jusque dans mon lit.
Sonia lui flanqua une tape sur la tête pour le faire taire.
-Idiot. Il ne veut pas me mettre dans son lit.
-Pourquoi t’avoir invité, dans ce cas ?
Elle n’hésita qu’un instant :
-Je crois qu’il pense ne pas s’être assez excusé. C’est sans doute une autre façon de demander pardon.
-Et de t’amener jusqu’à son lit.
Elle lui flanqua une nouvelle tape, et il continua :
-S’il te propose de le suivre jusque chez lui, refuse ! S’il veut monter ici, accepte, je voudrais voir ce type qui te met dans tous tes états.
-Parce que tu comptes rester ici ? s’étonna-t-elle.
-Bien sûr. Pour être sur que tu ne fasses pas de bêtises sans mon assentiment.
-Dans ce cas, si je dois faire une bêtise, ça sera chez lui, répliqua-t-elle avec un sourire qui promettait de rester sage.
Finalement, elle opta pour une robe noir assez simple, assez courte pour qu’elle se sente féminine et pas trop pour qu’elle se sente dangereusement exposée. Elle était en train de mettre la dernière touche à sa coiffure quand on sonna. Elle n’eut pas le temps de sortir de la salle de bain que Paul avait déjà ouvert.
Elle se précipita dans l’entrée pour le repousser sur le côté sans ménagement.
-Excuse-le, dit-elle à Jaguar, debout dans l’encadrement de la porte. Il…
-… est curieux. Aucun problème.
Il lui sourit, et elle se sentit fondre. Paul pointa le nez par-dessus l’épaule de Sonia pour examiner l’intrus des pieds à la tête. Visiblement satisfait de ce qu’il voyait, il donna une bourrade à Sonia pour la faire sortir de l’appartement, en lui disant de surtout, bien prendre son temps.
Une fois seule dans le couloir avec Jaguar, elle se sentit gênée. Et pas seulement à cause de Paul. Il ne s’était pas changé depuis qu’il lui avait fait cette proposition, quelques heures plus tôt, et pourtant, quelque chose en lui n’était plus pareil.  Il fallut un certain temps à Sonia pour réaliser que maintenant, il semblait sûr de lui, ce qui n’avait pas été le cas lorsqu’il lui avait demandé de diner avec elle. Avait-il douté de son désir d’être avec lui ?

Suite et fin la semaine prochaine ^^

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