Jaguar - Partie 1/6

Publié le par Sélène Alys

Malgré les bruits de la forêt, la zone où se trouvait Sonia était… vide. Tout simplement vide. Elle savait qu’il y avait des animaux ici, beaucoup d’animaux. Il y en avait dans toutes les forêts, non ? Même si elle avait pu avoir un doute, le bruit ambiant ne pouvait pas la tromper. Piaillement d’oiseaux, grattement dans les sous-bois, buissons mouvants… les seuls animaux qui ne la fuyaient pas étaient les insectes. Pourtant, elle s’était recouverte de crème spécialement conçue pour les repousser. Inefficace. Elle avait déjà été piquée une bonne dizaine de fois et, l’après-midi commençant à peine, elle savait qu’elle allait en subir encore beaucoup plus.
Il fallait qu’elle trouve un moyen de disparaitre. Pour ne plus faire fuir les animaux. Elle s’était déjà embusquée, habillée aux couleurs de la forêt, son appareil photo à la main, prête à cliquer. Et pourtant, rien ne bougeait, rien ne passait. Elle ne demandait pas grand-chose, juste quelques photos du premier animal qui passerait par ici ! C’est tout ce que lui demandait son patron, au journal. Juste quelques photos pour illustrer un article que personne ne lirait. Et il fallait qu’elle passe des heures et des heures à l’attendre…
À force de rester allongée par terre dans la même position, elle commençait à avoir des fourmis dans les jambes et mal au ventre. Elle avait besoin de bouger un peu. Mais si elle le faisait, elle perdait toutes ses chances de voir arriver un sujet de photo avant encore des heures…
N’y tenant plus, elle se redressa le plus silencieusement possible. Autant faire un minimum de dégâts. Elle fit quelques pas, uniquement pour retrouver des sensations dans les jambes. Elle n’aurait jamais due… Un jaguar sauta de derrière les fourrées et lui fit face. Il boitait, et de l’un de ses œil coulait un liquide qui ressemblait à s’y méprendre à du sang.
Se retrouver seule face à face avec un jaguar blessé était l’une des choses les plus surprenantes qui lui soit arrivées dans sa vie… et sans aucun doute la plus dangereuse.   Elle oublia instantanément ses fourmis et ses courbatures et stoppa tout mouvement. Le jaguar s’approcha d’elle en boitillant. Etrangement, ses yeux aux pupilles fendues étaient plongés dans les siens. Elle recula doucement, très doucement, pour ne pas l’énerver. Mettre en colère un jaguar blessé ne serait pas une bonne idée.
Lorsqu’elle eut le dos collé à un arbre et plus aucune possibilité de fuite, elle s’appuya dessus de toutes ses forces comme si elle pourrait le traverser. Le jaguar, lui, continua à s’approcher d’elle en grondant, et, arrivé à quelques centimètres d’elle, il s’écroula lourdement au sol.
Elle reste un long moment sans bouger. Le félin respirait de manière saccadée. Il semblait souffrir, et elle ne savait pas quoi faire. Si elle bougeait et qu’il avait encore assez de force en lui, il pouvait la mordre ou la griffer… si elle ne bougeait pas, elle risquait d’assister à son agonie, ou de lui servir de repas quand il irait mieux… si elle partait et le laissait là, sans savoir s’il allait se remettre de ses blessures, elle s’en voudrait à vie.
Aussi près de l’animal, elle pouvait voir une profonde entaille sur son flanc, qui saignait abondamment.
Sans plus réfléchir, elle retira sa veste et la roula en boule au dessus de la blessure pour essayer d’endiguer les flots de sang. Que fallait-il faire pour sauver un jaguar blessé, et en pleine forêt encore ?
Un vétérinaire. Il fallait qu’elle appelle un vétérinaire. Un normal refuserait de venir. A force de ne soigner que chiens et chats… un zoo ! Il fallait qu’elle appelle un vétérinaire de zoo !
Elle prit son téléphone portable et tapa un numéro connu par cœur. L’un de ses amis était vétérinaire dans un zoo. Elle l’avait rencontré à l’époque où elle commençait le métier et où elle avait besoin de conseils pour passer inaperçu en forêt et attirer les bêtes. Elle était allée voir un professionnel : un vétérinaire de zoo. Il avait passé pas mal de temps dans la cambrousse, à attraper des animaux sauvages avec des seringues hypodermiques, aussi savait-il comment se promener discrètement. Mais saurait-il s’occuper d’un jaguar ?
Quand elle l’appela, sa première réaction fut de ne pas la croire.
-S’il te plait, dépêche-toi ! Il perd beaucoup de sang !
-Il n’y a pas de jaguar en France !
L’idée ne l’avait même pas effleurée. C’était vrai, en France, il n’y avait que des loups… et quelques lynx, mais pas dans cette région.
-Je ne sais pas comment il est arrivé ici, mais il y est, et il est gravement blessé ! Philippe, s’il te plait !
Son ton suppliant et l’urgence dans sa voix décidèrent le vétérinaire.
Trente minutes plus tard, il était là, avec un camion dont l’arrière était muni de barreaux bien solides et d’une cage à l’intérieur, au cas où l’animal se réveillerait pendant le voyage. Ils transportèrent le jaguar à l’arrière - difficilement : il était plutôt lourd, même pour son espèce – et l’emmenèrent au zoo.
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Le lendemain matin, Sonia se rendit au zoo, pour prendre des nouvelles de son protégé. En l’absence de Philippe, et parce qu’on la connaissait, on la laissa passer et se rendre dans la cage du jaguar. Laissée seule avec la bête, elle remarqua qu’il allait mieux. Ses bandages étaient secs et il marchait de long en large dans sa cage, sans plus boiter.
-On va bientôt pouvoir te libérer, lui dit-elle.
Elle s’approcha, consciente que c’était dangereux, et pourtant irrésistiblement attirée par la beauté de l’animal. C’était le premier jaguar noir qu’elle voyait de sa vie. Ses taches étaient à peine visibles sur son pelage sombre. Ses yeux ambrés étaient une nouvelle fois plongés dans les siens. Etrangement, Sonia avait l’impression que le jaguar voulait lui dire quelque chose.
-Ne me regarde pas comme ça. Je ne peux pas te faire sortir maintenant. Tu comprends, je ne sais pas si tu me sauteras dessus dès que la porte sera ouverte.
Le grand félin s’assit sur ses pattes arrières et se mit à ronronner doucement en ne la quittant pas des yeux.
-Tu es magnifique, continua Sonia. Vraiment. Je n’en avais jamais vu des comme toi. Je n’avais jamais vu de jaguar en vrai avant, en fait. Sauf dans ce zoo… et aucun n’avait une fourrure aussi belle que la tienne.
Elle ne trouvait pas étrange de parler à cet animal. Souvent seule dans la nature, en désespoir de cause, elle se parlait à elle-même ou a tout animal qui passait à portée de voix. On l’avait souvent surprise en grande conversation avec un chien ou une vache. Au début, elle en avait ressentit de la gène, mais maintenant, elle s’en fichait. Elle savait que les animaux ne la comprenaient pas, et ça ne la dérangeait pas. Au moins, elle sympathisait avec eux. Ça, c’était toujours une victoire à ses yeux.
-Philippe va bientôt arriver. Il va voir comment tu vas. Après…
Après… elle ne savait pas. On ne pouvait pas relâcher un jaguar dans les forêts de France. Trop dangereux. Beaucoup trop dangereux. Personne ici ne s’attendait à croiser une telle bête en allant à la chasse aux champignons.
Elle s’approcha encore un peu de la cage, la bête la suivant du regard. Elle s’accroupit pour avoir la tête plus basse que le jaguar.
-Comment es-tu arrivée ici ? lui demanda-t-elle. Tu t’es échappé d’un zoo ? D’un cirque, peut-être ? Je n’ai jamais entendu parler d’un cirque utilisant des jaguars, mais tout est possible. Quoique, si tu appartenais à un cirque, j’essayerai de trouver un moyen de ne pas te rendre. Un animal sauvage n’es pas fait pour vivre comme ça.
Elle cru voir comme une lueur d’assentiment dans la prunelle ambrée du jaguar. Peut-être même une esquisse de sourire entre ses crocs luisant et étonnamment blancs pour un animal sauvage…
La porte s’ouvrit et Philippe s’approcha de la cage. A l’instant même où l’huis s’écartait, le jaguar s’était remis sur ses pattes, le dos arqué, le poil hérissé et c’était mis à feuler comme un chat sauvage. Sauf que vu la taille imposante de l’animal en question, c’était incroyablement impressionnant et effrayant.
Sonia se redressa d’un bond et recula, comme si l’animal pouvait écarter les barreaux pour leur sauter dessus.
-N’ai pas peur, lui dit Philippe. On va l’endormir. Je ne peux pas entrer dans la cage avec ce jaguar furieux. 
-Il était calme avant que tu ouvres la porte.
Philippe lui lança un regard étrange :
-Vraiment ?
-Oui. Il était même sympathique.
-Il ne t’a spas mangé dans la forêt, je comprends que tu le trouves sympathique.
Sonia haussa les épaules et laissa filer. Aussi étrange que ça puisse paraitre, elle détourna le regard quand Philippe tira une fléchette hypodermique. Elle ne voulait pas voir ce jaguar au regard si expressif s’écrouler, sans force, contre sa volonté.
-Tu sais comment il est arrivé ici ? demanda-t-elle au vétérinaire sans se retourner, même lorsqu’il entra dans la cage pour examiner la bête endormie.
-Non. Il n’y a eut aucune déclaration de jaguar disparu. Personne n’a même dit en avoir croisé un. Ça ce serait entendu. A moins qu’il appartienne à un particulier, cet animal ne sort de nulle part.
 -Qu’est-ce qu’on va faire, alors ? Imprimer des affiches et demander qui à perdu son jaguar ?
-Pour le moment, on va le garder. Je ne vois que ça. Il sera bien ici. On va juste éviter de le mêler à d’autres jaguars. Ils se battent pour savoir qui est le dominant, et celui-ci viens à peine d’être blessé.
Elle n’avait pas envie de laisser ce jaguar ici. Il était si beau… Il avait une allure... un port…
… royale. Ce jaguar à un port royal.
-Je suppose qu’il serait puéril de demander si on peut le renvoyer sur sa terre natale, n’est-ce pas ?
-Oui. Malheureusement, cette bête ne quittera pas le sol français. Je suis désolé.
Il n’en avait pas le ton, mais c’était gentil de sa part de faire semblant.
-Tu devrais aller travailler, lui dit Philippe au bout de quelques minutes. Tu ne peux rien faire pour lui, et ses blessures son déjà presque guérit.
-Ce n’était pas si grave que ça, alors.
-Ça l’était. Mais plus maintenant… C’est étonnant, je ne savais pas qu’un jaguar pouvait guérir si vite.
-Tant mieux pour lui.
-Oui…
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Elle était retournée en forêt. Distraitement, elle jeta un œil sur les dernières photos prises sur son appareil. Elle ne se souvenait pas avoir photographié le jaguar, et pourtant… Il y avait là trois photos où on le voyait clairement marcher vers elle. On voyait aussi que la blessure de sa patte saignait beaucoup, et des trainées de sang derrière lui. Comment avait-il guérit si vite ? Ça avait l’air si grave la veille…
Elle s’assit contre un arbre en fixant le regard ambré de l’animal. Si expressif… Comme s’il lui demandait de l’aide… Avait-elle entendu son appel ? Etait-ce pour cela qu’elle n’avait pas pu partir et l’abandonner, seul dans cette forêt ? Ou était-ce simplement son grand amour pour les animaux ?
Elle posa la tête contre le tronc et ferma les yeux. Les loups ne lui faisaient plus peur, maintenant qu’elle avait croisée la route d’un jaguar.
Quand son téléphone sonna, rompant la paix de la forêt, elle sursauta et se mit à l’injurier en espérant que ce ne soit pas son patron.  Elle devait apporter des photos la veille au soir, et au lieu de ça elle avait passé la soirée à veiller un jaguar… et la nuit à penser à lui.
-Allo ?
-Sonia ?
-Oui.
-J’ai une mauvaise nouvelle à t’annoncer…
-Je t’écoute.
-Le jaguar à disparut.
Il fallut un temps de réflexion à Sonia pour comprendre.
-Disparut ? Mais comment ? Ça ne passe pas inaperçu un animal comme celui-là !
-Je sais. Je ne comprends pas. Je suis partit quelques minutes et quand je suis revenu, il avait disparut.
Devant le silence de Sonia, il ajouta :
-Je suis désolé.
-Ce n’est pas ta faute, souffla-t-elle.
Au fond d’elle, elle était soulagée.
Le jaguar avait retrouvée sa liberté.

 

 

A suivre la semaine prochaine

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